Les perruches à collier redevenues sauvages en Belgique – Interview avec Diederik Strubbe
P.R. août 2011
Bert Van Gils
Traduction : William Vanbeginne
Tout doucement, le grand public commence à les connaître, les perruches à collier qui sont redevenues sauvages et qui proviennent de la région Bruxelloise. Mais qu’en est-il exactement de ces perruches à collier, comment sont elles arrivées dans la nature, comment ce fait-il qu’elles survivent, qu’elles se reproduisent et surtout: Quel avenir ont-elles dans notre pays? A la recherche de ces réponses, le vice-président du BVP, Bert Van Gils (BVG) a fait ses recherches et est arrivé chez Diederik Strubbe, biologiste à l’université d’Anvers. Diederik a eu sa promotion de Docteur grâce à une recherche de 4 ans … sur les perruches à collier.
BVG: Docteur Strubbe, des perruches redevenues sauvages dans un pays comme la Belgique, cela reste une idée bizarre. Quand sont-elles arrivées ici ?
Diederik Strubbe: “En 1966, il y avait déjà une observation d’un couple reproduisant dans le parc de Tervuren. Trois jeunes seraient nés mais malgré cela, les années suivantes il n’y a plus une seule observation de perruches à collier en Belgique. L’on en conclut donc que cette première introduction a raté. En 1974, le directeur du Meli parc, de l’époque, a eu l’idée de garder une colonie vivant librement dans le parc et a lâché une quarantaine de perruches à collier. Ceci a marché et les oiseaux ont formé un dortoir dans un seul arbre du parc. Lorsque le parc a été fermé et que l’arbre a été coupé, ils ont déménagé. Après un peu de vagabondage, les perruches se sont fixées dans le parc de Koekelberg et au quartier général de l’OTAN à Evere. Encore aujourd’hui, la plus grande concentration d’observation se trouve dans un rayon d’une dizaine de kilomètres autour du site de l’ancien Meli parc
BVG: Il y a aussi une théorie qui fait le tour, que les oiseaux seraient arrivés ici d’eux même, car ils sont aussi présents dans différents autres pays.
Strubbe: Ceci est très improbable. Le territoire naturel de cet oiseau est vraiment très loin de nos contrées. Le fait que l’on retrouve des perruches à collier dans autant de villes européennes provient du fait de la très grande popularité de cet oiseau comme oiseau de cage. De ce fait, souvent ils ont pu s’échapper ou ils ont été relâchés intentionnellement. Je vais essayer de démêler ceci plus loin. Il y a des données disponibles de la quantité de perruches à collier qui ont été importées en Europe via les banques de données de la CITES. Avec ces informations, je peux examiner si le nombre de populations dans un pays précis, et leur composition génétique, est déterminé par la quantité et la provenance des oiseaux importés. Entre-temps, quelques populations sont déjà si grandes qu’ils peuvent servir comme population source pour la colonisation d’autres territoires. Admettons que par exemple un groupe de perruches à collier fait son apparition à Gand, alors la chance est grande que ceux-ci soient en effet en provenance de Bruxelles”.
BVG: Cela a donc probablement commencé il y a quelques dizaines d’années par une quarantaine d’oiseaux, mais combien il y en a-t-il actuellement?
Strubbe: “ J’évalue qu’à ce jour il y a entre 10.000 et 11.000 perruches à collier redevenues sauvages qui vivent en Belgique. De même, dans nos pays voisins les quantités sont énormes, lors du dernier comptage, la population de Londres comportait 32.000 individus. Aux Pays-Bas aussi et dans la vallée du Rhin en Allemagne, elles se sont installées et atteignent des quantités pareilles à celles dans notre pays”.
BVG: Cela n’est pas mal ! Et chez nous, elles sont toutes situées dans la région Bruxelloises ?
Strubbe: “ Les observations se situent surtout dans l’axe Bruxelles – Malines – Anvers et ensuite il y en a qui vivent et se reproduisent assez bien dans la région de Louvain. Vers le sud, il y a des observations jusqu’à La Louvière. Pendant très longtemps, toutes les perruches à collier retournaient chaque soir vers les deux dortoirs à Bruxelles. Ces longues distances de vols vers ce dortoir sont remarquables et ils doivent donc en sortir un grand avantage. Les oiseaux mâles retournent chaque soir à Bruxelles, même si leur nid est par exemple à Louvain. Ma théorie est qu’à partir d’une certaine distance, l’avantage des dortoirs n’égale plus le désavantage du déplacement lointain. A un certain moment, ces deux grands dortoirs vont donc se désagréger et il semble que ceci va en effet se produire, récemment une population avec un nouveau dortoir s’est installée à Ekeren (Anvers). J’y ai compté 57 individus en février de cette année. Je pense d’ailleurs qu’il y en a encore plus qui passent leurs nuits dans la région anversoise et aussi à la Louvière, avec assez bien d’observation qui sont quand même relativement loin de Bruxelles”.
BVG: Ces grands nombres, ils n’y sont pas arrivés seuls. Que pouvez vous nous raconter concernant leur comportement de reproduction.
Strubbe: Les perruches à collier sont des oiseaux qui se reproduisent dans des troncs creux et ont donc besoin de vieux arbres. Ceux-ci, ils les trouvent surtout dans les parcs en ville et les domaines appartenant aux châteaux. Ils commencent à se reproduire très tôt, fin février ou début mars. Certains chercheurs pensent que ceci a quelque chose à voir avec la longueur de la journée, qui, dans leurs pays d’origine, au moment du début de la saison de reproduction a le même nombres d’heures que chez nous en février. Leur ponte est généralement constituée de 4 œufs. Ce qui est étrange c’est que la moyenne des poussins n’est que deux. Je n’ai pour le moment aucune explication à ce phénomène. Je pense qu’il fait peut-être trop froid et qu’ils n’arrivent pas à garder leurs œufs bien chauds. D’un autre côté, ils n’ont, ici, pour ainsi dire aucun ennemi naturel. Ceci compense (certainement en partie) leur résultat de reproduction plutôt faible, ce qui fait que leur population grandit quand même fortement.
BVG : Les perruches à collier ne commencent souvent à couver qu’une fois qu’ils ont pondu plusieurs œufs, même souvent une fois que l’avant dernier œuf a été pondu. Ceci peut-il être, pour l’une ou l’autre raison, la cause ?
Strubbe (intrigué): « Et bien, cela je ne le savais pas ! Cette piste je vais certainement la suivre et étudier cela.
BVG : Maintenant une question qui depuis longtemps me tracasse: Les perruches ondulées ou les perruches callopsittes sont détenues en plus grandes quantités, s’échappent aussi de temps en temps de nos volières et elles sont bien adaptées à notre climat. Pourtant on ne les retrouve pas comme oiseaux reproducteurs redevenus sauvages. Pourquoi alors la perruche à collier oui ?
Strubbe : « La perruche à collier n’est pas la seule ! Les perruches Alexandre et les perruches souris se retrouvent aussi à Bruxelles et avec quelques centaines de spécimens. Pour répondre à votre question : Différents facteurs jouent un rôle pour arriver à une réintroduction réussie. En premier lieu, il y a le nombre d’oiseaux qui se sont échappés ou relâchés, les oiseaux doivent après tout avoir un partenaire pour pouvoir se reproduire et la base génétique de la population doit être assez grande pour éviter la consanguinité. En second lieu, elles doivent être suffisamment bien adaptées à notre climat et trouver suffisamment de nourriture à tout moment durant l’année. »
BVG : En principe ces conditions sont remplies pour différentes autres espèces de perruches et de perroquets …
Strubbe : « Exact, mais en troisième lieu il y a encore des facteurs qui sont liés aux espèces spécifiques. Les biologistes s’y cassent la tête : quelles caractéristiquesfont qu’une espèce peut s’établir comme un exotique invasif, loin de son territoire d’origine ? Il n’y a pas encore de réponse suffisante. Ce que nous avons bien vu chez la perruche à collier, c’est que dans son territoire d’origine (Inde, Pakistan,…) elle a appris à cohabiter avec l’homme. Leur nombre a fortement augmenté depuis la venue de l’agriculture qui a veillé à former plus de paysages ouverts. Et le plus remarquable : dans ces pays, les quantités sont aussi les plus importantes dans les villes ».
BVG : Intéressant ! Mais revenons au climat, les perruches à collier se sont-elles si bien adaptées aux températures négatives chez nous ? Les éleveurs de colliers savent très bien qu’elles peuvent perdre un doigt lors de gels persistants et lorsque les oiseaux ne sont pas protégés dans une volière extérieure.
Strubbe : « Exact, les perruches à collier redevenues sauvages ont, elles aussi, souvent un doigt qui leur manque. En Allemagne, elles ne se retrouvent que dans la vallée du Rhin et ce n’est pas fortuitement qu’il y fait un petit peu plus chaud que dans le reste du pays. En somme, elles ne sont donc pas parfaitement adaptées à notre climat. J’ai d’ailleurs encore une anecdote amusante à ce sujet … »
BVG : Racontez-nous cela !
Strubbe : « Début des années 80, un matin d’hiver très froid, de grandes quantités de perruches à collier ont été retrouvées au sol sous l’arbre où ils dormaient et ils n’étaient en pas très grande forme. Différents oiseaux avaient les ailes gelées, d’autres avaient des blocs de glace qui étaient pendus à leur queue. La cause était probablement une combinaison de brouillard et d’un froid gelant, ce qui fait que la glace s’est déposée sur les oiseaux. L’on a attrapé les oiseaux, laissés reprendre des forces et … relâchés!”
BVG: Ce n’est pas vrai! Apparemment elles peuvent agir librement
Strubbe: Une enquête parmi les Bruxellois nous a appris qu’ils ne sont pas négatifs vis-à-vis des perruches à collier. Jusqu’à présent il n’y a pas eu d’essais pour les combattre. A Bruxelles, ils sont d’ailleurs protégés car la loi considère que tous les oiseaux sont protégés à l’exception des espèces qui se trouvent sur une liste bien précise. Les perruches à collier ne sont pas reprises sur cette liste. Par contre, des recherches sont faites vers des méthodes de contrôle possible de la population. Une des techniques la plus prometteuse semble être la castration chimique. Un élément chimique bien précis est alors rajouté à leur nourriture qui les rend stériles. Le problème est que cet élément ne travaille pas uniquement chez les perruches à collier, ce qui provoque des effets indésirables sur d’autres espèces.”
BVG: De quoi se nourrissent les perruches à collier belges?
Strubbe: De tout! Au printemps je les vois souvent sur les cimes des châtaigniers (les espèces Aesculus). Ceux ci sont très collants et sucrés, ce qui leur apporte l’énergie suffisante. Elles aiment beaucoup les fleurs, tout comme celles des espèces d’arbres exotiques comme le Magnolia. Elles mangent même des feuilles, mais uniquement la troisième partie inférieure de la tige de la feuille. En automne, ce sont les graines des frênes (Fraxinus excelsior) qui sont très appréciés. La période hivernale est la plus difficile, à ce moment-là, elles se nourrissent en grande partie de ce qu’ils trouvent chez les gens à la maison sur les tables de nourrissage. Pendant le reste de l’année d’ailleurs ils sont bien nourris par les gens. Les noix et les fruits à pépins sont trop durs pour leur bec, ce qui n’est pas le cas chez les perruches Alexandre qui sont redevenues sauvages. Lorsque je retrouve des pépins de cerise, cassés sous un arbre, alors je sais où il y a un visiteur. Ce qui d’ailleurs est à remarquer, c’est que les perruches à collier ne se nourrissent presque jamais au sol.”
BVG: Ce sont pratiquement des mangent tout. Est-ce qu’ils ne sont pas en concurrence avec les oiseaux reproducteurs indigènes?
Strubbe: « Des recherches nous ont montré que la concurrence pour de la nourriture autour des tables de nourrissage des oiseaux indigènes avec les perruches à collier n’est pas plus grande que dans leur compétition mutuelle. Ce qui est plus important c’est la compétition pour les lieux de nidification, c’est sur ce sujet que ma recherche prenait une partie importante. Les pics font eux-même un trou, les choucas et les grives sont assez agressifs pour exiger une place pour elles-même mais une plus petite espèce comme l’alouette, c’est autre chose. Normalement la stratégie de l’alouette consiste à réduire le trou d’entrée d’un trou d’un pic avec de la boue qu’elle laisse durcir. Mais les perruches à collier contournent cette stratégie de deux manières: En premier lieu, elles commencent à nicher quelques semaines plus tôt que l’alouette et en second elles sont assez fortes pour casser et enlever la boue séchée. Ma recherche a démontré que la présence des perruches à collier a influencé négativement le nombre des alouettes dans les environs de Bruxelles. Une expérience, en couvrant les trous de nidification, a livré des preuves concernant le fait de la compétition, qui est ici un facteur important.
BVG: Cela veut dire que le futur de l’alouette est en danger?
Strubbe: « Cela ne prend pas cette allure. L’alouette n’est pas en danger et se retrouve aussi en grand nombre en dehors des villes, dans des régions boisées fermées, qui n’est pas un bon habitat pour la perruche à collier. L’avenir de l’alouette dans notre pays n’est pas menacé. »
BVG: A côté des effets possibles sur nos oiseaux indigènes reproducteurs, existe t-il encore d’autres risques?
Strubbe: « En principe, la perruche à collier peut se développer comme une espèce « plaie » pour la culture, comme dans leurs pays d’origine. Chez nous cela pourrait devenir un problème pour la culture des fruits. Dans les Pays-Bas, il y a une culture de fruits qui a chaque année de grosses pertes dû à ces oiseaux, mais à part ce cas isolé il n’y a pas de problèmes et ceci malgré leur grand nombre (32.000 oiseaux lors du dernier comptage). Chez nous, il n’y a pas encore de cas de dégâts importants qui ont été rapportés. En Allemagne, l’on parle d’un nouveau phénomène: Certaines maisons sont isolées de l’extérieur et recouvertes d’une petite couche de plâtre. Lors de la moindre petite déchirure dans le plâtre, les perruches à collier l’agrandisse et vont nicher dans l’isolation. »
BVG: Ennuyeux … mais quand même un peu drôle. Une dernière question: Comment voyez-vous l’avenir de la perruche à Collier en Belgique?
Srubbe: « J’ai rédigé un modèle qui calcule les territoires de vie favorables pour la perruche à collier en Belgique. Les facteurs pris en compte sont en autre le degré d’urbanisation (nourriture), la présence de vieux arbres (nichoirs) et le type de paysage (ouvert). L’axe Bruxelles – Malines – Anvers est indubitablement prioritaire comme territoire, de même que la région de Louvain et une partie du sud du Limbourg (région de Tongeren et St Truiden). J’ai fait également un essai de prédire l’accroissement de leur nombre. A cause d’un certain nombre d’incertitudes, ceci reste quand même plutôt vague, entre 9.000 et 39.000 couples reproducteurs. En moyenne l’on parle quand même de 22.000 couples reproducteurs, ce qui montre que la portée en Belgique est probablement loin d’être atteinte … »
BVG: Cela promet. Une chose est devenue très claire, des exotiques redevenus sauvages n’est pas sans risque, et nous, amateurs de psittacidés, nous devons réagir de manière mûrement réfléchie avec le matériel vivant que nous avons dans nos mains.
Diederick, un grand merci pour ces amples explications et beaucoup de succès avec vos recherches futures.
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